L'intimité des choses
« Par moments, nous avons encore le sentiment que depuis longtemps on a fait violence aux choses en leur intimité, et que la pensée y est pour quelque chose : c’est alors une raison pour renier la pensée, au lieu de s’efforcer de la rendre plus pensante. Mais que peut bien valoir un sentiment, si sûr soit-il, lorsqu’il s’agit de définition essentielle et que seule la pensée à droit à la parole ? Il se pourrait cependant que ce que nous appelons ici, et dans d’autres cas analogues, un sentiment ou un état affectif, soit plus raisonnable et plus sensé, c’est-à-dire plus sensible, parce que plus ouvert à l’être, que toute raison qui, devenue entre-temps ratio, a été faussée par l’interprétation rationnelle. Dans ce processus, le petit coup d’œil vers l’irrationnel, avorton du rationnel impensé, n’a pas été sans rendre d’étranges services. Il est vrai que le concept courant de la chose convient, à chaque moment, à toute chose. Et pourtant, dans cette captation, il ne saisit pas la chose en son essence ; il l’insulte. »
Martin Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, 1949.