Les sciences, les mots

“Mais les mots ne sont rien, et souvent ils ressemblent à des cuirasses cachant l’impression réelle que les idées devraient produire en nous. C’est pourquoi il vaut peut-être mieux ne pas nommer une chose que nous ne sommes pas encore capables de définir. Ce serait s’exposer à être entravé plus tard dans la liberté des conclusions. On a vu souvent, dans l’histoire des sciences, une théorie prématurée arrêter les progrès de sa cause. Lorsque des phénomènes naturels sont observés pour la première fois, dit Grove, on voit naître immédiatement une tendance à les rapporter à quelque chose déjà connu. Le nouveau phénomène peut être fort éloigné des idées dont on prétend le rapprocher ; il peut appartenir à un ordre d’analogies différent ; mais cette distinction ne peut être perçue, parce qu’on manque des données ou coordonnées nécessaires. Or, la théorie primitivement énoncée est
bientôt admise du public, et lorsqu’il arrive que des faits postérieurs, différents des précédents, ne peuvent rentrer dans le cadre formé, il est difficile d’élargir ce cadre sans le briser, et souvent alors, on préfère abandonner la théorie dès lors erronée, et passer sous silence les faits indociles.”

 

Camille Flammarion, Les Forces Naturelles Inconnues, 1907.